Vous venez de publier "Éducation française, l’heure de vérité", un livre numérique de 200 pages. Dans quel contexte vous êtes-vous lancé dans l’écriture de cet ouvrage ?
Ce livre est une contribution, un devoir d’alerte, qui reflète beaucoup de réflexions émanant de mes collègues de l’enseignement supérieur, que ce soit à l’université ou dans les grandes écoles. Je perçois une certaine urgence à agir, car, comme je le souligne dans le livre, notre système éducatif connaît des problèmes qui vont en s’aggravant. Et je crains qu'ils ne soient pas considérés à leur juste valeur. Ce livre était l’occasion de rassembler ma doctrine personnelle sur le sujet, avec comme unique objectif de contribuer au débat.
Concernant l'enseignement supérieur, quelle est votre "doctrine" ?
Je constate que l’on demande beaucoup aux universités et aux écoles, qui doivent résoudre des problèmes cumulés, en réalité hérités de toute la scolarité. Il faut que nous ayons une vision à la fois holistique et systémique et que nous mettions un nom sur nos problèmes. Nous sommes tous embarqués dans une représentation d’éducation qui atteint ses limites.
Lorsque le gouvernement se félicite d’avoir envoyé 40.000 étudiants de plus dans le supérieur, j’ai du mal à concevoir cela comme une réussite, sachant qu'un nombre important d'entre eux échouera dans le supérieur. On a l’impression que le devenir de ces gens, qu’ils réussissent ou non, n’est pas l’indicateur majeur. Pour moi, ça l’est. Il faut garantir à tout le monde l’insertion dans la société, avec les codes de la citoyenneté, des compétences et une insertion professionnelle, ainsi que des connaissances épanouissantes.
Est-ce une remise en question de l’objectif de la Stranes [Stratégie nationale de l'enseignement supérieur], qui est de faire accéder 60 % d'une classe d'âge au supérieur ?
Je ne le remets pas en cause, mais cet objectif peut être dangereux selon la manière dont on se l’approprie. Si l’on part du principe qu’il faut envoyer 60 % des jeunes dans toutes les formations de l’enseignement supérieur, du BTS au doctorat, en passant par la formation tout au long de la vie, cela me convient parfaitement ! Cela revaloriserait l’ensemble des niveaux de "diplomation" et déstresserait les étudiants. Et cela ouvre un vrai débat de fond : quelle répartition et quel équilibre entre les différents diplômes de l'enseignement supérieur.
La question de la pyramide de "diplomation" en France est en effet un point très discuté dans votre livre...
Tout à fait. Cette pyramide repose aujourd'hui sur sa pointe. On a peu de diplômes de rang intermédiaire, car ils s’évaporent vers le haut. 70 % des diplômes nationaux sont des licences, des DUT ou des BTS, mais seule la moitié de ceux qui en disposent valorisent ce diplôme. La plupart continuent ensuite les études, via la pression ambiante, celle de leurs parents… Je ne dis pas que l’objectif de 60 % est mauvais, mais tel qu’il est formulé, il est dangereux si l’on ne précise pas que l’on ouvre l’espace et les niveaux de "diplomation" pour l'atteindre.
Je veux une société de la réussite. Je considère que notre système éducatif ne la garantit plus. C’est justement cela qu’il faut changer.
Vous remettez largement en cause la gratuité des études. Pourquoi vous intéressez-vous à cette question ? La hausse des droits d'inscription est-elle vraiment un levier ?
La gratuité est un dogme. Lors de l'élaboration de la Stranes, la question a d'ailleurs été largement débattue. Si le dogme était assorti d’une promesse de réussite du système, je ne serais pas contre. Mais ce n'est pas le cas. La gratuité peut, au contraire, être un handicap pour un système de qualité. Le contre-exemple de l’Allemagne, où l’université est gratuite, ne peut s'appliquer en France, car le système outre-Rhin envoie deux fois moins de personnes d’une même classe d’âge dans le supérieur.
La fin de la gratuité me semble un levier pour faire remonter la qualité des formations.
La fin de la gratuité me semble un levier pour remonter la qualité des formations. À partir du moment où les étudiants paient, ils s’attendent à une certaine qualité et les institutions qui les forment font davantage attention. Elle permet, de plus, de créer le même barème économique pour tous et donne aux universités la capacité de disposer de fonds à valeur redistributive.
Les bourses sociales françaises sont insuffisantes pour accompagner l’ensemble des étudiants. Au passage, les universités devraient avoir l’ensemble des outils pour gérer de manière globale leurs étudiants. C’est pour cela que je considère que les œuvres sociales devraient être portées à la responsabilité des universités dans le cadre des dévolutions dont elles disposent aujourd’hui.
Vous êtes également critique envers le PIA [Programme d'investissements d'avenir] et les Idex [Initiatives d'excellence]. Vous vous posez notamment des questions quant à "la valeur ajoutée scientifique" de ces opérations. Pourquoi ?
En 2010, 22 institutions françaises apparaissaient dans le top 500 du classement de Shanghai. En 2016, le chiffre n'a pas bougé et 80 % des établissements présents sont les mêmes qu'il y a six ans. Qui est entré ? Qui a gagné des places ? Des universités qui ont fusionné, comme Aix-Marseille université ou l'université de Lorraine, ou Toulouse School of Economics. Que faut-il faire ? La recette : soit l'on crée de grosses universités de recherche fusionnées, en revenant sur les découpages sauvages des années 1980, soit l'on mise sur des concentrés à haute valeur ajoutée.
Sur le programme des Idex, je me demande s’il n’aurait pas fallu procéder de manière plus déterministe. On ne peut pas être à la fois stratège et remettre sa stratégie au hasard de la compétition. On épuise les acteurs et on crée des frustrations...