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La Chambre de commerce Paris-Île-de-France craint pour l'avenir de ses formations

Cécile Peltier Publié le
La Chambre de commerce Paris-Île-de-France craint pour l'avenir de ses formations
Didier Kling (à gauche) et Yves Portelli (à droite) alertent sur les conséquences de la réduction de la taxe pour frais de chambre, programmée par le PLF 2018. // ©  F. Daburon / CCIP
Baisse des ressources publiques, réforme de la taxe d'apprentissage...Un an après une première campagne de sensibilisation, la chambre francilienne tire à nouveau la sonnette d'alarme. Didier Kling, son président, et Yves Portelli, son directeur général adjoint en charge de l’enseignement, de la recherche et de la formation, répondent aux questions d'EducPros.

Après une première baisse de vos ressources, intervenue en 2016, un plan de redressement a été déployé. Où en êtes-vous aujourd'hui ?

Didier Kling :Depuis quatre ans, le budget alloué à la CCI Paris-Île-de-France à travers la taxe pour frais de chambres – collectée par l'État auprès de 670.000 entreprises du territoire francilien – a diminué de près de 300 millions d'euros. Cette baisse nous a beaucoup fragilisés, nous contraignant à réduire la voilure.

En matière d'enseignement, nous avons rationalisé notre portefeuille de formations, en menant des rapprochements d'établissements et des mutualisations de sites. Aujourd'hui, la chambre propose un catalogue de 500 formations dispensées par 19 établissements, contre 24 il y a deux ans. 

Nous avons également fermé une école, Novancia, qui souffrait d'un déficit chronique malgré nos 6 à 7 millions d'euros de subventions annuelles. Pour avoir des chances de la repositionner, il nous aurait fallu trois ans et plus 20 millions d'euros... C'était trop coûteux et relativement aléatoire. Un groupe privé a fait une offre de rachat, mais nous n'étions pas convaincus par la qualité du projet et nous avons préféré jeter l'éponge. Cela n'a pas été une décision facile, c'était la première fois que nous fermions une école.

Yves Portelli : Ces rationalisations se sont accompagnées de 700 départs volontaires en 2015, puis de 315 suppressions de postes en 2016. Ce plan de redressement nous a permis de retrouver un équilibre d'exploitation en 2017, que le PLF (projet de loi de finance) 2018, s'il est voté en l'état, nous ferait perdre de nouveau.

Pour quelles raisons le PLF 2018 mettrait-il de nouveau à mal votre équilibre d'exploitation ? Et quels sont les risques pour vos activités de formation ?

Didier Kling : Le PLF 2018 adopté en première lecture à l'Assemblée [le 21 novembre 2017] prévoit une nouvelle réduction de 150 millions d'euros de la taxe pour frais de chambre, soit un manque à gagner, pour nous, de plus de 40 millions d'euros sur un budget global qui devrait atteindre, en 2018, 600 millions d'euros. Soit une perte de 10 %.

Yves Portelli : Cette diminution aura obligatoirement un impact négatif sur nos écoles auxquelles nous consacrons 60 % de notre budget. Ces subventions, qui viennent compléter les frais de scolarité, sont souvent indispensables à leur fonctionnement. Et permettent à certaines, comme les Gobelins, de maintenir des frais de scolarité raisonnables.

La réforme de l'apprentissage qui vient d'être lancée inquiète les acteurs de l'enseignement supérieur. Quel est votre sentiment, concernant ce projet ?

Didier Kling : Nous sommes entièrement d'accord pour passer de 400.000 à 500.000 apprentis formés par an. La question est de savoir comment. Au niveau national, 28 % des apprentis rompent leur contrat au cours de la première année ! Inversement, il est très difficile pour une entreprise de mettre fin à un contrat d'apprentissage. Dans ces conditions, le statut du maître d'apprentissage doit être revalorisé et davantage de souplesse instaurée.

Il est nécessaire de renforcer l'attractivité de l'apprentissage, qui pâtit d'une image dégradée.
(D. Kling)

Il est également nécessaire de renforcer l'attractivité de l'apprentissage, qui pâtit d'une image dégradée. On doit s'appuyer sur l'Éducation nationale, qui, au-delà de son rôle dans la délivrance d'un diplôme doit plus que jamais être un acteur de l'apprentissage, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à maintenant. Développer les bourses de mobilité et l'Erasmus auprès des apprentis, comme nous le faisons déjà en Île-de-France, sont, à mon avis, des pistes intéressantes pour redorer son blason. Les différences de réglementation et de rémunération d'un pays à l'autre ne sont certes pas évidentes, mais aucune contrainte technique n'est infranchissable !

Malgré tout, vous contestez certaines mesures de ce projet de réforme. Lesquelles ?

Didier Kling : Nous comprenons, dans une certaine mesure, la nécessité de mieux coller aux besoins des entreprises comme le souhaitent les branches professionnelles, mais nous sommes sceptiques sur l'intérêt des collectes captives de la taxe d'apprentissage. Si demain, elles deviennent collectrices exclusives, nous risquons le retour à un travail en silo, peu efficace et coûteux.

D'une part, c'est une perte de liberté d'affectation par les entreprises, qui, aujourd'hui, versent la taxe aux établissements de leur choix et pourraient, demain, être contraintes de l'allouer aux seuls CFA (centres de formations des apprentis) de la branche. D'autre part, cette mesure risque de générer des déséquilibres : certaines branches professionnelles, très riches, vont se retrouver avec beaucoup de ressources issues de la taxe, alors qu'elles n'ont pas besoin d'apprentis. Inversement, des branches constituées majoritairement de petites entreprises seront moins bien pourvues, alors qu'elles ont, au contraire, des besoins importants.

Nous doutons de l'intérêt de renforcer le rôle des branches professionnelles dans la collecte de la taxe d'apprentissage.
(D. Kling)

Yves Portelli  À tout cela, vient s'ajouter la crainte d'une remise en cause de la carte des formations de l'apprentissage, jusqu'alors négociée au niveau régional. J'ai du mal à voir comment certaines branches professionnelles, nationales, pourraient avoir une vision claire des besoins en formations du bassin.

La suppression de la partie "hors quota" (à savoir hors formation par apprentissage) de la taxe versée aux établissements de l'enseignement supérieur inquiète également beaucoup les grandes écoles...

Yves Portelli : Le programme du futur président indiquait que la taxe d'apprentissage ne devait profiter qu'à l'apprentissage et non aux formations technologiques. Si on le prend au mot, c'est la fin du "hors quota" pour les universités, les grandes écoles et les lycées professionnels. Soit, demain, la disparition de 23 % de la taxe...

La perte de cette enveloppe, qui représente entre 5 % et 10 % de leur budget annuel, serait un nouveau coup dur pour les grandes écoles de management qui ont déjà perdu 46 % de la taxe en 2015. Ces sommes, qui servent à financer les bourses et l'innovation pédagogique, vont cruellement leur manquer et les forcer à augmenter leurs frais de scolarité...

Quelles conséquences ces mesures pourraient-elles avoir sur vos formations en apprentissage ?

Didier Kling : Nous craignons tout simplement pour leur pérennité et leur développement. Aujourd'hui, nos CFA forment 15.000 des 80.000 apprentis d'Île-de-France, avec des excellents taux d'insertion professionnelle (88 %) et de faibles taux de rupture des contrats (10 %). Notre ambition est d'atteindre les 18.000 élèves en 2020. HEC, qui était la dernière école à ne pas avoir d'apprentis, a décidé de s'ouvrir à l'apprentissage en 2018 pour atteindre, à terme, les 200 apprentis, dans le cadre du programme grande école. Elle n'attend plus que l'agrément de la Région. Mais arriverons-nous à atteindre nos objectifs dans un tel contexte ?

Pour parler plus spécifiquement de vos écoles, quelles sont vos rapports avec Peter Todd, le patron d'HEC ? La rumeur vous prête des relations difficiles...

Didier Kling : Le comité de sélection d'HEC, piloté par la CCI Paris Île-de-France, a choisi un directeur général canadien. Il est normal qu'il n'ait pas le même degré de connaissance de l'environnement consulaire que son prédécesseur. Succéder à Bernard Ramanantsoa n'est pas facile et chacun a son style.

Cependant, je fais le point tous les mois avec Peter Todd et je n'ai pas connaissance de dysfonctionnements. HEC se développe et continue d'avoir de bons classements.

Quel projet HEC va-t-elle choisir sur le dossier Saclay ?

Didier Kling : HEC se décidera pour l'un des deux regroupements, mais je ne peux pas encore vous dire lequel. Nous avons demandé à Gilles Bloch [président  de l'Université Paris-Saclay à la tête du projet du même nom] et à Jacques Biot [président exécutif de l'École polytechnique, à la tête du projet NewUnide nous fournir un état des lieux des projets, de leurs perspectives, du fonctionnement de leur gouvernance... Nous attendons leurs copies qui seront soumises au vote en conseil d'administration. Nous aimerions trancher avant la fin de l'année, mais ce n'est pas un drame si nous nous décidons en janvier.

Dans le dossier Saclay, HEC se décidera pour l'un des deux regroupements. Nous aimerions trancher avant la fin de l'année.
(D. Kling)

Tout le monde attend avec impatience de connaître le nom du remplaçant de Jean-Michel Blanquer à la tête de l'Essec. S'agira-t-il, comme à HEC, d'un profil international ?

Didier Kling : Français ou international, nous sommes ouverts à tous les profils. Nous devons surtout trouver une personne reconnue de ses pairs et qui poursuive la dynamique lancée par Jean-Michel Blanquer.

Yves Portelli : Le search committee reçoit les candidats. Il ont des profils très différents et ses membres peuvent avoir des avis divergents... Nous devrions pouvoir annoncer son nom fin 2017 ou début 2018. La succession de Bernard Ramanantsoa avait pris six mois... Il est essentiel qu'une grande école comme l'Essec se donne le temps et les moyens de recruter son directeur général.

ESCP Europe endossera au 1er janvier 2018 le nouveau statut d'EESC. Prévoyez-vous de lui rétrocéder ses bâtiments comme cela fut le cas pour HEC ?

Didier Kling : Cela semble difficile, dans la mesure où la propriété des locaux occupés par ESCP Europe varie d'un campus et d'un pays à l'autre. L'école n'est pas propriétaire de tous ses murs. Et cette formule n'est pas toujours la mieux adaptée.

Plus généralement, la question de la rénovation du campus de Paris devrait être abordée en 2018. Nous cherchons un moyen de doter l'école d'un campus digne de ses classements. Plusieurs hypothèses sont à l'étude : une réfection de l'existant ou la construction d'un nouveau campus, sur un autre site.

Cécile Peltier | Publié le