Vous avez codirigé avec Catherine Loisy un ouvrage collectif intitulé “la Pédagogie universitaire à l'heure du numérique”, qui s'appuie sur des journées d'études visant à questionner les éclairages de l'action par la recherche. Que vous ont-elles appris ?
Si le numérique apporte une solution à certaines questions (accessibilité à la formation, flexibilité, enrichissement des méthodes pédagogiques...), il ne faut pas perdre de vue qu'en même temps, il interroge la manière d'enseigner sur le plan aussi bien pédagogique que technique, politique ou économique. C'est parce qu'on saura rassembler des équipes de praticiens et de chercheurs en sciences de l'éducation, psychologie, neurosciences, sociologie et sciences politiques, etc., qu'on pourra comprendre et développer au mieux les nouvelles situations d'apprentissage où intervient le numérique.
Notre approche consiste ainsi à articuler la recherche avec les pratiques pédagogiques le plus étroitement possible. En ce sens, nous nous laissons questionner par le mouvement du SoTL (Scholarship of Teaching and Learning) qui, par une pratique réflexive, vise à améliorer sa façon d'enseigner : les enseignants qui s'inscrivent dans cette dynamique s'attachent à faire de la recherche pas seulement sur leur discipline, mais aussi sur la manière dont ils l'enseignent.
D'une manière générale, la recherche en pédagogie universitaire n'est, en France, pas très développée. Cette ignorance peut s'expliquer en partie par le fait que jusqu'à la massification des études supérieures, il y avait sans doute moins besoin de questionner les pratiques. D'autre part, culturellement, la représentation de l'enseignant-chercheur transmetteur de connaissances a longtemps eu un poids très fort.
Dans l'enseignement supérieur, on commence aujourd'hui à se préoccuper activement de la formation des jeunes enseignants entrant dans le métier. On peut sans doute dire que l'usage du numérique souligne ce besoin de formation et d'accompagnement car c'est à une réelle transformation des postures professionnelles qu'il nous engage.
Il semble cependant que les mentalités évoluent.
Oui, on se dirige petit à petit vers une prise de conscience des apports possibles de la pédagogie à l'amélioration de l'apprentissage des étudiants et vers une meilleure reconnaissance de l'enseignement dans le travail universitaire. Nos travaux en partenariat avec des pays comme la Belgique, la Suisse ou le Québec sont éclairants et stimulants dans ce sens.
Il est intéressant de noter qu'il y a moins de cinq ans, on prononçait à peine ce mot "pédagogie" dans l'enseignement supérieur. La récente publication du rapport Bertrand, "Soutenir la transformation pédagogique dans l'enseignement supérieur", traduit une réelle évolution : parmi les dix pistes d'actions à engager, il est très significatif qu'il préconise la création de "centres pour le développement pédagogique" au niveau de chaque site.
Par ailleurs, il nous semble que les textes (loi d'orientation 2013, StraNES) incitent désormais à raisonner de plus en plus en termes de compétences, ce qui oblige à considérer non pas seulement le contenu, mais les objectifs visés en termes de compétences ainsi que les méthodes d'enseignement. C'est là que l'usage du numérique intervient souvent pour faciliter la mise en relation des mondes professionnel et universitaire.
La transformation pédagogique est en voie de concrétisation dans l'enseignement supérieur en France, même s'il reste beaucoup à faire...
Comment ces orientations se traduisent-elles concrètement sur le terrain ?
De plus en plus d'établissements d'enseignement supérieur se dotent de services d'appui à l'enseignement, créent des prix ou des fonds d'innovation, dégagent des heures pour soutenir l'effort de transformation pédagogique des enseignements...
D'autre part, les formations ont tendance à être davantage conçues en équipe pédagogique pluricatégorielle, introduisant des interventions de plus en plus fréquentes d'ingénieurs pédagogiques. Cela marque sans doute la prise de conscience qu'un enseignant seul ne peut tout prendre en charge et que la réflexion en termes pédagogique peut être d'une réelle aide, à condition que chacun soit suffisamment ouvert pour avoir un dialogue constructif.
Les projets Idefi (Initiatives d'excellence en formations innovantes) représentent par ailleurs des creusets fabuleux d'innovation pédagogique qui, s'ils sont mutualisés et diffusés, peuvent agir comme des leviers très intéressants pour la France.
Enfin, la réactivation de la section France de l'AIPU (Association internationale de pédagogie universitaire) est un autre signe de ce dynamisme au niveau national. Nous pouvons donc dire que la transformation pédagogique est en voie de concrétisation dans l'enseignement supérieur en France, même s'il reste beaucoup à faire...
Dans ce contexte, dans quelle mesure le numérique est-il un aiguillon du changement ?
Le numérique élargit considérablement la boîte à outils de l'enseignant, en ouvrant de nouveaux horizons pédagogiques : le travail à distance, les MOOC, ou encore la classe inversée qui, si elle existait depuis longtemps, se pratique désormais avec les moyens de communication des jeunes. Sans être la clef de tout, le numérique est un argument de plus pour amener des gens à s'intéresser à la pédagogie.