À l’Afep, l'Association française d’économie politique, qui regroupe plus de 600 chercheurs, vous militez pour que l’enseignement et la recherche en économie soient davantage pluralistes. Vous dénoncez notamment les modalités de recrutement des professeurs, issus, dans leur très grande majorité, du courant néoclassique, courant qui s’appuie sur l’efficience des marchés financiers et les anticipations rationnelles. Un premier pas a été fait en juillet 2014 avec la suspension de l’agrégation d’économie, réputée pour son conservatisme. Cela ne suffit-il pas ?
Il était urgent de supprimer le concours d’agrégation, totalement sclérosé et dépassé. Il suffit d’étudier le profil des personnes reçues pour s’en convaincre. Il y a dix ans, 18% des nouveaux professeurs étaient issus des courants hétérodoxes [courants qui intègrent des analyses sociologiques, anthropologiques et laissent place à l’histoire de la pensée économique, ndlr], contre 5% aujourd’hui. En termes de pluralisme, on fait mieux !
La suppression du concours d’agrégation du supérieur est une avancée, mais ce n’est pas suffisant pour garantir davantage de pluralisme. D’où notre volonté de créer une nouvelle section d’économie au CNU (Conseil national des universités), plus interdisciplinaire et ouverte à tous les courants de pensée y compris les plus formalistes.
En décembre 2014, la rumeur de la création d’une section d’économie pluridisciplinaire à la CNU a suscité l’ire de nombreuses personnalités, des présidents d’université jusqu’au Nobel Jean Tirole. Najat Vallaud-Belkacem a finalement rejeté cette idée au prétexte qu’il n’y aurait pas consensus en la matière. Que comptez-vous faire ?
Continuer de réclamer la création de cette nouvelle section. À cet effet, nous avons lancé une pétition qui a déjà recueilli plus de 5.000 signatures. Nous constituons un observatoire, qui va établir des statistiques sur les profils des personnes qualifiées par la section 5 et recrutées par les universités.
Nous souhaitons également mettre fin au classement officiel des revues, ce qui ne veut absolument pas dire que nous pensons qu’elles se valent toutes. Mais, à partir du moment où vous institutionnalisez un classement, vous conférez un pouvoir exorbitant aux revues de rang 1. Les chercheurs sont alors obligés de se conformer à leurs exigences. Avec, pour conséquence, la fin de la diversité et une fermeture au monde.
La section 5, celle de sciences économiques, n’est-elle vraiment pas en mesure d’assurer cette pluralité ?
La solution idéale serait qu’il n’y ait qu’une seule section pluraliste. Or, ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, il ne peut plus y avoir de débat scientifique équilibré et respectueux au sein de la section 5. Le courant néoclassique qui la domine ne supporte plus la contradiction. Ses méthodes sont supposées les seules scientifiques. Tant que la section 5 considérera que la qualité d’un chercheur se mesure au nombre d’articles publiés dans une liste de revues dites d’excellence, appartenant toutes au "mainstream", il ne pourra pas y avoir de pluralisme.
Il faut faire vite ! Du fait des départs à la retraite et de la nature des recrutements depuis quinze ans, dans un ou deux ans, il sera trop tard. Il n’y aura plus assez de professeurs hétérodoxes pour les directions de masters, ni pour les encadrements et les jurys de thèses. C’est donc la possibilité même d'un pluralisme scientifique en économie qui va disparaître.
Aujourd’hui, il ne peut plus y avoir de débat scientifique équilibré et respectueux au sein de la section 5.
La création d'une nouvelle section en économie serait une réforme historique. Pour quelles raisons ?
Symboliquement, le fait d'ouvrir une nouvelle section est susceptible de créer un choc, y compris à l’étranger. La violence des réactions montre bien que nous touchons à un point sensible.
Tout le monde a remarqué l’aveuglement des économistes au moment de la crise de 2008. C'est en grande partie la conséquence de la position hégémonique du courant dominant. Lutter pour le pluralisme, c’est aussi permettre l’émergence d’un véritable débat public, indispensable au bon fonctionnement de nos démocraties. Aujourd’hui, il n’y a pas de réelles alternatives intellectuelles proposées aux gouvernements.
La discipline économique est dans une impasse. Elle est en train de mourir de son resserrement autour d’une approche formaliste et "techniciste", axée sur les statistiques et les modèles mathématiques. Il est urgent qu’elle accepte de s’ouvrir.
EducPros a proposé à des personnes opposées à la création d’une nouvelle section d’économie au CNU de débattre avec Olivier Favereau. Toutes ont décliné l’invitation. Pour Alain Ayong Le Kama, président de la section 5, "débattre avec un membre de l’Afep ne ferait que contribuer à ternir encore plus l’image de la discipline". Bruno Sire, président de l'université Toulouse 1, en tête de la contestation, ne voit pas l’intérêt de rouvrir un débat qui n’a pas lieu d’être. "La ministre a tranché, ce n’est donc plus la peine d’en discuter", déclare-t-il. Quant à l’Association française de sciences économiques (Afse), elle "ne souhaite pas apparaître comme un des tenants du débat", précise Alain Trannoy, son président.