un nouveau paradigme des relations entre entreprises et territoires
Les territoires ne sont plus un cadre neutre de l’action des entreprises. Ils sont devenus un véritable capital dans la course à l’innovation et à la compétitivité, qui appelle des stratégies d’investissement pérenne de la part des entreprises. Réciproquement, la compétitivité des territoires nécessite des stratégies solides et de longue haleine pour mobiliser les acteurs présents – entreprises, universités, acteurs publics, citoyens – autour d’une vision commune des objectifs de développement et des investissements à réaliser en conséquence.
Cela doit se faire dans un cadre souple et réactif pour faire face aux évolutions mondialisées des marchés, parfois brutales.
On revient en réalité aux facteurs clés de la compétitivité de Michael Porter – qualité du tissu économique, importance des facteurs de production et présence des ressources stratégiques en recherche et compétences notamment, accès au marché, proximité aux secteurs connexes ou capacité des entreprises à tirer des bénéfices des écosystèmes locaux et à créer des synergies – sur lesquels entreprises et territoires au sens large (collectivités, acteurs de l'enseignement supérieur et recherche...) doivent agir conjointement dans leur intérêt mutuel.
Dès lors, quatre sujets apparaissent comme décisifs : la conquête de nouveaux marchés qui s'appuie sur une gouvernance publique-privée et un véritable co-engagement entreprises-territoires, permettant le développement d'un fonctionnement en écosystème.
la conquête de de nouveaux marchés
Les territoires sont un cadre propice à l’élaboration d’un projet collectif de conquête de nouveaux marchés : "les buts de guerre".
Le cadre local est l’échelle où peuvent converger les intérêts des entreprises, des élus, des acteurs de l’ESR, en matière de création de richesses et d’emplois. Il est donc particulièrement propice à l’élaboration d’un projet fédérateur orienté explicitement vers la conquête des marchés. Ceci passe par la construction d’une vision stratégique partagée, fondée sur une anticipation conjointe entreprises-territoires des nouveaux relais de croissance pour lesquels il est nécessaire de mobiliser l’ensemble des ressources stratégiques du territoire.
Il faut passer d’un rôle d’aménagement du territoire à un rôle de catalyseurs des objectifs communs de conquête des marchés
L’accélération des capacités d’expérimentation du territoire (au niveau des métropoles notamment) permet également de donner accès à des premiers marchés pour les entreprises innovantes, les spin-offs issues de la recherche publique, avec un usage renouvelé de la commande publique.
Les territoires, notamment les villes, peuvent se muer en creusets de l’innovation ouverte, en développant de nouvelles offres de lieux urbains tournés vers la créativité, le co-design, le prototypage, la réinvention de business models…
Ces orientations impliquent pour les collectivités de renforcer leur capacité stratégique et prospective, de faire évoluer leurs instruments juridiques et l’organisation de leurs services. Les nouveaux outils au service de l’innovation ouverte impliquent aussi des co-investissements publics-privés.
Les pôles de compétitivité ont également un rôle d’incubateurs de "nouveaux business" à jouer en mobilisant toutes les formes d’innovation pour conquérir de nouveaux espaces de marché et en intensifiant leur rôle de mise en relation entre acteurs publics et privés.
Une gouvernance entreprises-territoire repensée
La mise en œuvre de ces actions passe par de nouvelles formes de gouvernance des territoires, associant étroitement les entreprises. Elles sont les partenaires légitimes des collectivités territoriales pour identifier des "buts de guerre" communs et permettent une réelle orientation marché des plans stratégiques, qui fait défaut aujourd’hui.
Plusieurs pistes sont à explorer : plates-formes spécifiques, expérimentations dans le cadre des conférences territoriales de l’action publique…
L’objectif poursuivi est simple : construire des espaces de dialogue pérennes entre décideurs publics, entreprises et également acteurs de l’ESR.
Un co-engagement entreprises-territoires : le "pacte sacré"
Le pacte sacré va bien au-delà de l’élaboration d’une stratégie commune autour de la conquête de nouveaux marchés et des nouvelles modalités de gouvernance associées.
Il se décline en un co-engagement très fort des entreprises, des collectivités, des acteurs de l’ESR, dans l’élaboration de politiques conjointes et le co-investissement dans un capital commun.
La capacité à attirer et retenir les talents, par exemple, va de plus en plus reposer sur des engagements réciproques des entreprises, des collectivités et des acteurs de l’ESR. Les collectivités ainsi que les acteurs de l’ESR peuvent s’engager sur des conditions d’accueil, d’installations d’entreprises et d’individus, des conditions de vie et d’environnement. Les entreprises, quant à elles, sont en prise directes sur les questions liées aux conditions de travail, la formation tout au long de la vie…
Le co-engagement des entreprises et territoires peut également porter sur la mobilité des ressources humaines de haut niveau, le développement de grands programmes d’expérimentation, le co-investissement dans des outils industriels ou d’immobilier d’entreprises, des fonds d’investissements communs…
On peut aller encore plus loin en imaginant de développer des labels ou pactes propres à chaque territoire qui fixeraient objectifs et engagements réciproques ciblés pour un développement équilibré des ressources stratégiques : humaines, économiques, infrastructures de recherche…
Une culture du fonctionnement en écosystème
Le fonctionnement en écosystème reste un objectif important, mais il ne peut se décréter. Il repose en grande partie sur une confiance et une culture de la collaboration et de l’innovation ouverte, qui n’est pas encore très développée en France.
Nous sommes encore loin d’avoir de véritables écosystèmes d’innovation ou d’affaires qui fonctionnent de façon aussi performante que la Sillicon Valley ou, plus proche de nous, la Tech City à Londres. La mise en place de tels écosystème ne repose pas en effet sur la simple co-localisation d’atouts stratégique, la présence du terreau adapté comme on peut le voir dans certaines régions de France – Grenoble ou le plateau de Saclay – pour ne citer que ces exemples.
Les modes de collaboration observés à l’étranger sont, par exemple, des guichets dédiés au sein des universités pour gérer la relation avec les industriels dans la durée, des accords entre financiers publics et privés pour faciliter l’amorçage de nouvelles start ups, des partenariats renforcés entre grands groupes et PME, ou encore une démarche de co-investissement entre grandes entreprises et pouvoirs publics pour expérimenter de nouveaux projets.
Le "pacte sacré" se décline aujourd’hui essentiellement dans les politiques de soutien à l’expérimentation
Des territoires français ou étrangers sont-ils déjà en mouvement sur ces quatre sujets ?
L’ouvrage identifie des bonnes pratiques sur ces quatre sujets, à l’étranger mais également en France.
Sur la stratégie de conquête des marchés, l’observatoire des marchés du futur de Nord-Pas-de-Calais nous semble un outil exemplaire et peu coûteux, pour anticiper les nouveaux relais de croissance avec les grandes entreprises du territoire.
En matière de gouvernance publique-privée, les Local Entreprise Partnerships constituent un dispositif britannique particulièrement intéressant. Ils se substituent aux agences de développement et jouent le rôle de conseils de compétitivité locaux, au sein desquels collectivités et entreprises déterminent conjointement les grandes orientations de développement du territoire et la stratégie d’investissement commune associée.
Le "pacte sacré" se décline aujourd’hui essentiellement dans les politiques de soutien à l’expérimentation. Amsterdam en est un bon exemple avec la plate-forme "Amsterdam Smart City", un réseau permettant de rassembler des partenaires publics et privés autour de projets d’expérimentation et de lever des fonds.
La politique de gestion des talents est un terrain encore peu exploré qui demandera de plus en plus une action coordonnée des territoires et des employeurs. Toulouse également, à travers la mise en place de packages d’accueil des chercheurs étrangers très attractifs pour attirer et retenir les talents chercheurs sur la métropole.
Sur la culture du fonctionnement en écosystème, on peut mettre en exergue les actions menées par le pôle de compétitivité System@tic (System@tic Académie, PASS Compétences) pour renforcer les relations entre PME et donneurs d’ordre, en suscitant de la confiance et en levant les freins habituels à ce type de collaborations.
Quelles sont les prochaines grandes étapes ?
Le débat sur la loi de décentralisation doit être l’opportunité d’accélérer la réflexion sur l’évolution de la gouvernance économique des territoires et ouvrir des perspectives pour que territoires et entreprises pensent différemment un projet stratégique commun.
Les régions ont beaucoup travaillé récemment sur leur stratégie de spécialisation intelligente. Elles ont mis en place des travaux de réflexion mobilisant les entreprises, acteurs de l’innovation, pour affirmer là ou leurs ressources stratégiques sur le plan économique et académique sont discriminantes. Pour opérationnaliser cette stratégie, la construction de "buts de guerre", est une opportunité à saisir.
Les stratégies de structuration des sites universitaires sont bien entendu également une occasion majeure de développer des politiques et visions conjointes entre métropoles, acteurs de l’ESR et entreprises pour le développement des villes-campus et renforcer les liens entre acteurs de l’ESR et acteurs économiques.
Enfin, les territoires doivent amorcer des démarches d’expérimentation. Ils peuvent le faire sur de nombreux aspects : la mise à disposition de l’espace public, la création de nouvelles initiatives dédiées à l’open innovation, la mise en place d’outils de financement de capital risque publics-privés…
Vanessa Cordoba est manager au sein de CMI, en charge des nouvelles politiques de développement économique et d’innovation. Julie Koeltz est directrice associée au sein du cabinet CMI, en charge des questions d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation.
Lire le rapport"Entreprises et territoires : pour en finir avec l’ignorance mutuelle. Quinze propositions pour rendre nos écosystèmes locaux plus compétitifs" – Institut de l'entreprise, octobre 2013. Cette étude a été réalisée sous la présidence d'Antoine Frérot (PDG de Veolia).
Lire la fiche de synthèse du rapport.
CMI est un cabinet de conseil en stratégie qui accompagne des décideurs du secteur privé et du secteur public. Au sein du secteur public, CMI intervient tout particulièrement dans les champs dusoutien à la compétitivité, de la recherche, de l'enseignement supérieur et de l'innovation. Le cabinet a développé une expérience de plus de 30 ans sur les enjeux d'évolution, d'organisation et d'évaluation des politiques publiques à tous les niveaux institutionnels.
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