#ElectionNight avec les étudiants américains : "We're fucked !"
À Paris, les étudiants de l'American Business School (ABS) participaient le 8 novembre 2016 à une journée spéciale "élection présidentielle" organisée par leur école. Nous les avons suivis tout au long de la soirée et de la nuit.
18 h 43. Sur un rodéo mécanique, une jeune fille avec des couettes éclate de rire et chute, moins de quatre secondes après être montée en selle. Un écran projette la chaîne CNN avec la soirée présidentielle. Des drapeaux, des étoiles tricolores, des paniers de basket, des affiches de Donald Trump et d'Hillary Clinton tapissent les murs. On est sur le campus de l'IGS, commun à huit écoles de commerce et de communication, où se tenait ce 8 novembre 2016 une spéciale "élections américaines". Un succès ? Quelque 150 étudiants sont éparpillés en ce début de soirée dans la grande salle d'accueil, moins qu'en milieu de journée.
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Simulation de vote et de débat présidentiel
Un bureau de vote fictif, isoloir inclus, a même été installé pour une simulation électorale avec les étudiants. "On n'avait pas assez de bulletins de vote. Il y en avait 500 pour Trump et Clinton, mais seulement 100 pour les autres [les autres candidats Johnson et Stein, NDLR]", reconnaît Assia, en 2e année du Bachelor business et administration de l'ABS. La pile des bulletins en faveur de Trump est peu entamée.
19 h 21. "On ne va pas tarder à dépouiller le vote", lance Ruxandra, Roumaine en Bachelor fashion and luxury. Elle tient le pied de grue derrière l'urne depuis 9 h 00 du matin. Entre-temps, exactement 452 étudiants des huit écoles qui composent le campus ont participé au vote. "On espère que Clinton va l'emporter. J'ai lu leurs deux programmes, je n'ai pas le moindre doute : son programme est quand même légèrement meilleur…"
19 h 35. Les étudiants ont été conviés à débattre "comme si ils y étaient" avec deux soutiens fictifs des candidats républicain et démocrate : l'un joue Trump, l'autre Clinton. Dans l'amphithéâtre, des questions fusent : sur les suspicions de Trump à propos du réchauffement climatique ou ses comportements outranciers. Voix claire, débit rapide, un jeune Syrien rappelle, lui, le soutien d'Hillary Clinton à la guerre en Irak et à la tenue de nouvelles élections au Honduras après le coup d'État, évacuant de fait l'ancien président Zelaya. Plutôt calés, les étudiants.
20 h 09. La parodie du débat présidentiel s’achève et les bancs se vident. Direction le buffet "américain", truffé de cheeseburgers et de hot dogs. Restée là à pianoter sur son téléphone, Minh-Chau, 20 ans, ne s’est pas ennuyée : "Clinton était dans son rôle, Trump avait l’air égoïste, pas pertinent... Dans l’idée générale, ça ressemble beaucoup à la réalité", raille l'étudiante en 2e année à l'ICD.
Ici, on a voté pour Hillary Clinton
Accoudées à un comptoir, deux étudiants en 3e année de journalisme à l’ISCPA dévorent leurs burgers. "Comment peut-on voter Trump quand on est une femme ?", s’enflamme Élise quand on lui demande ses convictions politiques. Sur l’IGS, la majorité sont plutôt pro-Clinton. "Pour blaguer, quelques uns ont quand même voté pour Trump", dit Marie les yeux au ciel.
Résultat du scrutin ? C'est tombé : plus de 70 % des votes des Bachelors sont pour Hillary.
20 h 23. Voilà qui ne réjouit pas spécialement Yves, en 3e année de Bachelor business. Sa mère a été consultante du président du Liban. Lui parle arabe mais aussi un français et un anglais impeccables. "La plupart ici ont voté Clinton mais ils n’ont pas fait de recherches sur le sujet", dit-il. Mais s’entend-il bien avec ses camarades désinformés ? "Ça va, parce qu'à l’école, on ne parle pas politique mais business."
Sur le campus de l'IGS, décorum américain pour la journée spéciale élections. // © Paul Conge
20 h 38. Thomas et Clémence font la queue pour une deuxième ration de hot dogs. Le cuistot, lui, tente de caser ses piles de hamburgers non consommés. Thomas : "C’est assez logique que Clinton ait été élue ici. Mais les États-Unis sont plus à droite." Y aurait-il une autre mentalité outre-Atlantique ? "Ici, à l'école, on est tous en master, tous éduqués et tous ouverts sur le monde", veut compléter Clémence, dont les parents vivent sur le sol étasunien depuis cinq ans.
Une nuit américaine
20 h 52. Le responsable de cantine tente de solder ses derniers hot dogs. "Prenez-les à la maison, j’ai des sacs…". Mais la salle se vide. Des étudiants, par grappes, quittent les bancs colorés de la salle et prennent la direction d'un grand bar sportif américain, le Belushi's, à quelques encablures de la gare du Nord. L'endroit s'est paré de ses plus beaux atours : drapeaux étoilés, du bleu, du rouge, CNN sur chaque écran, des burgers et des boissons hors de prix.
22 h 20. Eli et Mike discutent chacun une bière à la main. Le brouhaha télévisuel force tout le monde à parler très fort. Américains tous deux – l'un vient du New Jersey, le second du Maine – ils ont voté par bulletin anticipé il y a trois mois, juste avant de venir rejoindre l'Institut catholique de Paris pour un cursus en 2e année. "Si jamais Hillary n'était pas élue, les marchés s'effondreraient. Cela me concerne parce que j'étudie les marchés… Le dollar va s'écrouler d'au moins 5 %, comme d'autres indicateurs", prédit Mike qui "espère" que Trump ne passera pas. Son acolyte est plus inquiet. "Beaucoup des commentaires de Trump me dérangent, ses scandales sexistes, ses saillies racistes... C'est absolument effrayant", lance Eli.
22 h 48. Autour de grandes tablées, des étudiants s'installent. Ils ont des stickers floqués de l'initiale d'Hillary sur les vestes et les gilets.
"Exaspérée par le côté showman de Trump"
23 h 37. Sous le grand écran en face du fumoir, une table de six étudiants de l'EM Lyon (dont un campus se situe à Paris) est surmontée de quelques pintes remplies d'un "cocktail d'origine allemande", s'amusent-ils. Cours en anglais et séjours linguistiques aidant, ils ont les phrases pleines d'anglicismes. Comment ont-ils atterri ici ? Mayline, cheveux bouclés et petite chemise en jean, plaide coupable : "Je suis fan d'actualité alors je les ai tous amenés, explique-t-elle. Je suis très attachée à Barack Obama, je veux savoir qui va lui succéder. À l'inverse, je suis exaspérée par le côté showman de Donald Trump. Même si il est élu, il sera plus soft que ce qu'il dit."
Les cheveux ébouriffés, Victor est de la même école de commerce mais se sent moins concerné. "J'en attends pas grand chose, de ces élections. Que Trump gagne, ce serait marrant. Clinton, c'est le choix un peu safe." Autour de la table, ça ne déborde pas d'enthousiasme pour Hillary ou Trump. "L'un et l'autre, bof. Par élimination, je choisirais Clinton", souffle Julia, sa voisine blonde. Le trublion du groupe, Nicolas, dont les parents sont chinois, ne cache pas sa préférence pour le magnat de l'immobilier : "Hillary peut provoquer une 3e guerre mondiale. Trump est trop extrémiste mais il pense plus au développement du pays. Il sera un meilleur leader."
"Je n'irai plus jamais au KFC"
00 h 12. Trump remporte l'État du Kentucky haut la main. "Je n'irai plus jamais au KFC", réplique avec humour Noha, originaire de New York, et étudiant en commerce. "Je n'aime pas les idéologues, mais si Trump passe, le monde entier en pâtira."
00 h 49. "You're watching CNN special coverage", fait observer CNN, qui jongle avec les "Key Race Alerts" ("infos clés dans le scrutin"). Applaudissements nourris au fond de la pièce quand Clinton est annoncée gagnante du Vermont.
01 h 15. La soirée traîne en longueur, les résultats peinent à arriver. Tous perdent de vue les téléviseurs pour se concentrer sur les queues de billard.
01 h 21. Petite frayeur quand Trump devance Clinton en Floride, un État clé avec ses 25 grands électeurs. À travers le bar, les mines sont déconfites. "C'est fini, on aura Trump président..., désespère déjà Marion (le prénom a été changé). J'ai peur de ce qui va se passer."
01 h 27. Fausse alerte, scènes de liesse : au fur et à mesure du dépouillement, Clinton repasse en tête en Floride. "Clinton, Clinton !", clame-t-on. Les étudiants ne réalisent pas que tout peut encore évoluer...
01 h 30. Trump gagne la Virginie-Occidentale. Mike, 20 ans, est affublé d'un bandana à l'effigie du milliardaire : "Si Trump est élu ? Je ne serais heureux que si une révolution s'ensuit ! Mais dans les deux cas de figure, l'issue du scrutin sera mauvaise." Les visages commencent à pâlir avec l'ascension surprise de Trump, qui, au petit matin va finalement l'emporter à la stupéfaction générale. Accoudé au bar, un jeune Américain jure : "We're fucked !" (poliment : "On est fichus !").