C'est une véritable lame de fond qui traverse l'université. Depuis quelques mois, la pédagogie résonne dans les textes et discours officiels, gagnant peu à peu ses lettres de noblesse aux côtés de la toute-puissante recherche. Dans le rapport rédigé par Claude Bertrand, présenté au Cneser (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) mi-septembre 2014 : "La pédagogie est maintenant un sujet à part entière dans la politique universitaire, une question dans l’air du temps, dont tous les acteurs s’emparent, le ministère en particulier", affirme son auteur. Le rapport lui-même en est l'illustration, puisqu'il est "le premier consacré uniquement à la pédagogie", observe Joëlle Demougeot-Lebel, responsable innovation pédagogique de l'université de Bourgogne et présidente de la section française de l'AIPU (Association internationale de pédagogie universitaire).
Lors de sa conférence de presse de rentrée, la ministre de l'Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem a estimé que l'année 2014-2015 serait celle de la "rénovation pédagogique". Une expression que Nadine Lavignotte a inscrit noir sur blanc dans le préambule du rapport du Comité de suivi de licence de septembre 2014, en y associant "une nécessaire formation des enseignants du supérieur".
Autre acte symbolique : la demande de Geneviève Fioraso de voir une partie des enseignants-chercheurs de l'IUF (Institut universitaire de France) recrutée "pour l'excellence d’un projet d’innovation pédagogique".
La pédagogie est maintenant un sujet à part entière dans la politique universitaire.
(C. Bertrand)
Une préoccupation croissante...
Sur le terrain, si les universités se réjouissent de cette prise de conscience politique, nombre d'entre elles n'ont pas attendu les discours pour mettre sur pied des services chargés d'accompagner les enseignants désireux de renouveler leurs méthodes, qu'ils s'appellent SUP (Service universitaire de pédagogie), Cipe (Centre d'innovation pédagogique et d'évaluation), ou qu'ils aient inventé leur propre sigle. Certains existent depuis une dizaine d'années, comme le Siame (Service d'ingénierie d'appui et de médiatisation pour l'enseignement) à Brest, le Cipe à Dijon ou Icap (Innovation, conception et accompagnement pour la pédagogie) à Lyon 1.
Le phénomène n'est donc pas nouveau, mais on assiste aujourd'hui à une accélération du mouvement. Environ un tiers des universités possèdent aujourd'hui un service pédagogique et plusieurs centres ont vu le jour depuis un an : création du SUP de l'université de Nantes à l'automne 2013, suivi du SU2IP (Service universitaire d’ingénierie et d’innovation pédagogique) de Lorraine en janvier 2014, du SupArtois en février, ou encore du SUP de Bretagne Sud en avril… À la rentrée, c'est le CRIIP (Centre de ressources, d'ingénierie et d'initiatives pédagogiques) de Poitiers qui a ouvert ses portes, dans la lancée des Assises de la pédagogie organisées par l'université en juin 2014 et dans le sillage du projet PaRé (Parcours Réussite).
Université Lyon 1 – Christophe Batier, directeur technique du service Icap © S.Blitman - mai 2013
Cette Idefi (Initiative d'excellence en formations innovantes) "permet de financer dans un premier temps le centre qui a vocation à être pérennisé par la suite", explique Florent Jabouille, vice-président délégué à la Commission de la formation et de la vie universitaire. Objectif : répondre aux demandes de la direction des ressources humaines, dans le cadre du plan de formation, et aux besoins des enseignants. "Les Assises ont clairement fait ressortir les attentes des personnels sur les questions de pédagogie qui avaient déjà commencé à poindre quelque temps auparavant, relate le VP qui souhaite que "le CRIIP devienne un lieu de partage, et contribuer à recréer un sentiment d'appartenance à une équipe pédagogique".
"Cette préoccupation pour la pédagogie dans l'enseignement supérieur n'a cessé de progresser depuis dix ans, constate Joëlle Demougeot-Lebel. Aujourd'hui, les initiatives ont une meilleure visibilité. Si nombre d’universités ont des budgets réduits pour la pédagogie, d'autres y consacrent parfois davantage de moyens".
En effet, deux lauréats des Idex (Initiative d'excellence) ont investi une partie des fonds pour créer un centre d'innovation pédagogique. Ainsi sont nés l'Idip (lnstitut de développement et d’innovations pédagogiques) à Strasbourg et Sapiens (Service d'accompagnement aux pédagogies innovantes et à l'enseignement numérique) à Sorbonne Paris Cité, qui travaillent ensemble à la mise en place d'une université d'été autour de la pédagogie universitaire. "La forme sera originale", promet Simon Zingaretti, l'un des conseillers de l'Idip qui donne rendez-vous à l'été 2015.
Le numérique n'est pas l'alpha et l'oméga de l'innovation pédagogique.
(F.Germinet)
... au-delà du numérique
Car les passerelles et les échanges existent, bien sûr, entre les membres de ces différents centres, mus par la même volonté de faire évoluer les pratiques pédagogiques, afin de s'adapter au mieux aux besoins des étudiants. Et cette communauté aux liens jusque-là largement informels commence à se structurer, à travers notamment l'association des SUP qui vient de voir le jour en octobre 2014.
Sur le plan institutionnel, le ministère de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a donné un signal fort en créant, en septembre 2014, la Mipes (Mission de la pédagogie dans l'enseignement supérieur). Pilotée par Claude Bertrand, cette structure est rattachée à la DGESIP et a pour objectif selon son responsable de soutenir "l'évolution des dispositifs et des pratiques, dans le cadre de la politique d'établissements". Et ce, en affichant que la pédagogie universitaire ne se limite pas aux outils numériques.
Voilà la vision qui prévaut désormais. Au-delà de l'engouement qu'ont pu susciter le e-learning et les Mooc, les tableaux blancs interactifs et les serious games, "le numérique n'est pas l'alpha et l'oméga de l'innovation pédagogique : il n'est pas une fin mais un moyen", estime François Germinet, vice-président du comité numérique de la CPU (Conférence des présidents d'université), qui entend mieux prendre en compte les questions pédagogiques dans son université à Cergy-Pontoise. Comment ? En faisant évoluer le SEFIAP (service d'expertise, de formation, d'ingénierie et d'assistance pédagogique) "vers un centre doté d'un nouveau nom qui doit refléter l'approche moins techno-centrée que nous souhaitons lui donner". Et entériner le changement de paradigme. "On a dépassé l’idée d’un enseignement supérieur exclusivement tourné vers la recherche", affirme Michel Deneken, vice-président formation initiale et continue de l’université de Strasbourg.
Ainsi acceptée et même institutionnalisée, la pédagogie irrigue de plus en plus le monde universitaire. L'étape suivante ? Prendre en compte cet investissement dans la carrière des enseignants-chercheurs. Mais ce serait prendre le risque de provoquer au CNU (Conseil national des universités) une sérieuse tempête.
Plusieurs de nos blogueurs abordent régulièrement la question de la pédagogie dans l'enseignement supérieur. Retrouvez quelques-uns de leurs billets récents :
François Thérin : "Commençons mon blog par un gros mot : PEDAGOGIE !"
Jean-Charles Cailliez : "Comment réinventer ses cours ? L'innovation pédagogique par les communautés apprenantes !"
Matthieu Cisel : "Les MOOC, une révolution pédagogique ?"
François Fourcade : "L'erreur comme ressource : une culture qui s'éduque dès le plus jeune âge ?"