Lundi 17 octobre, après plus de six mois de pression sur le ministère de l'Éducation nationale, l'association "Droit des lycéens" reçoit par l'intermédiaire de son avocat le code source d'APB sur les licences à capacité limitée. Très vite, informaticiens et codeurs le décryptent et se rendent compte qu'il est illisible.
Le débat sur la transparence du portail Admission postbac, qui gère l'inscription dans le supérieur de près de 600.000 élèves de terminale, est relancé. Une question d'autant plus cruciale qu'un parent sur deux n'est pas satisfait de la procédure APB et la juge "plutôt floue", selon un sondage l'Etudiant-EducPros d'octobre 2016.
Pour beaucoup d'initiés, le recours à des algorithmes dans les procédures d'orientation est pourtant une bonne chose. Professeur associé au Médialab de Sciences po et auteur de "À quoi rêvent les algorithmes" (Seuil), le sociologue Dominique Cardon en est convaincu : "On ne peut pas se passer des algorithmes, ils présentent de nombreux avantages. Ils permettent notamment une plus grande équité entre usagers. Parfois, cela a du bon de faire confiance à la bêtise d'une règle simple qui s'applique à tous. Dans un système 'papier', où les interactions humaines sont importantes, il est beaucoup plus facile de convaincre quelqu'un de faire une exception, d'accorder une dérogation."
Le mathématicien et médaille Fields Cédric Villani ne dit pas autre chose : "Sur APB, le système ne pourrait être organisé sans recours à un algorithme, étant donné la masse des données à traiter !"
un devoir de transparence et de pédagogie
Mais, le recours nécessaire à des algorithmes va de pair avec une exigence forte de transparence : "La publication de l'algorithme doit être une étape naturelle, et ce même si le grand public ne maîtrise pas les algorithmes. La puissance publique doit être transparente", estime Cédric Villani. Dominique Cardon le souligne aussi : "Il est normal que les citoyens puissent vérifier que les critères insérés dans l'algorithme correspondent bien à ceux énoncés publiquement."
Le réel débat porte alors sur la "démocratie numérique" à mettre en place. Cédric Villani se souvient de son expérience au conseil scientifique de la Commission européenne : "J'ai eu l'occasion de m'intéresser au cas de l'Estonie, qui, il y a quinze ans, a instauré l'identité numérique. L'algorithme utilisé par l'État a été divulgué dès le début, et tous les 'hackers éthiques' encouragés à le tester et à l'attaquer."
Une "démocratie numérique" qui passe aussi par la formation des citoyens. "Les pouvoirs publics ont un devoir de pédagogie pour expliquer les règles qui régissent le fonctionnement de l'algorithme. Si les usagers ont des doutes sur les critères utilisés, alors il faut en débattre", estime Dominique Cardon.
Sophie Pène plaide ainsi pour que la pensée informatique devienne une discipline à part entière : "Nous parlons tout de même de sciences et techniques qui réorganisent l'État, notre façon de consommer, nos rapports sociaux. C'est la pensée de notre époque. Pour faire un parallèle historique, dans les années 1960, on n'aurait jamais imaginé ne pas enseigner la physique..."
Algorithme et sélection
Vincent Ielhé, professeur d'économie à l'université de Rouen replace, lui, la question de l'algorithme APB sur le terrain de l'éducation. "Cette défaillance du système n’est pas celle de l’utilisation d’un algorithme qui, après tout, fait ce qu’on lui demande. Elle traduit plutôt un manque d’orientation claire sur la question de la sélection dans l’enseignement supérieur, qui, in fine, se répercute directement au niveau de ce que produit l’algorithme."
Bientôt des algorithmes de type deep learning ?
Mais ce débat autour d'APB et des algorithmes n'en est qu'à ses prémices si l'on en croit Georges-Louis Baron, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paris-Descartes. "Il y a une réflexion à mener sur le type d’algorithme que l’on utilise, en éducation comme dans les autres domaines. Nous sommes passés en quelques années d’une intelligence artificielle symbolique – où l'on exprimait un certain nombre de règles (si…, alors…) dont on pouvait voir le fonctionnement –, à une intelligence artificielle de "deep learning", avec des algorithmes dont on n’est pas capable de savoir exactement comment ils ont fonctionné."
Et de prévenir : "Dans le cas des algorithmes de type 'deep learning', le programme initial se modifie en fonction de ce qu’il apprend : on ne peut alors plus savoir exactement comment la décision a été prise." Tout un programme...