La secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur et à la Recherche quitte ses fonctions le 5 mars 2015, pour raisons de santé. Najat Vallaud-Belkacem, ministre de "tutelle" à l'Éducation nationale, a dorénavant également la pleine charge de l'enseignement supérieur et de la recherche. Une démission qui intervient alors qu'une journée d'action pour défendre les conditions de travail et d'études a été initiée le 5 mars par une intersyndicale du supérieur.
Le président de la République a remercié Geneviève Fioraso pour "l'action accomplie au service de l'excellence de la recherche française et de la modernisation de l'enseignement supérieur". Pourtant, à l'heure du bilan, l'ambiance est plutôt à la déception chez les universitaires, après trois ans de gouvernement de gauche. Il faut dire que les attentes étaient fortes, après le quinquennat de Nicolas Sarkozy, jugé avec une grande sévérité.
Des Assises et une loi
Cela avait pourtant plutôt bien commencé, avec des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, organisées à l’arrivée de Geneviève Fioraso au ministère, au printemps 2012. Une période de concertation qui a débouché sur une loi, votée à l’été 2013.
Côté formation, le texte législatif prône des licences plus progressives et une simplification des intitulés, ainsi qu’une place prioritaire en BTS et DUT pour les bacheliers professionnels et technologiques. La loi instaure également une nouvelle structure de regroupement : la Comue (communauté d’universités et établissements), et supprime la très critiquée Aeres (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur).
universités en déficit et Soutien aux bourses étudiantes
Mais très vite, les questions budgétaires deviennent la pomme de discorde entre le ministère et les universités qui font face à des déficits. Outre le cas inédit de Versailles, qui frôle la cessation de paiement fin 2013, l’université de Montpellier 3, par la voix de sa présidente, fait monter la pression en menaçant de fermer son antenne de Béziers, soulignant le manque de moyens attribués aux universités.
Néanmoins, les centaines de millions d’euros investis par le ministère dans les bourses étudiantes et un budget de l’ESR relativement préservé – contrairement à d’autres – marquent encore le soutien promis à un secteur jugé crucial pour l’avenir du pays.
Une dernière année dans la tourmente
Le passage d’un ministère à un secrétariat d’État au printemps 2014, au-delà de la symbolique, acte le début de l'aggravation. Sur le fond des réformes, "depuis que Geneviève Fioraso est devenue secrétaire d’État, il ne se passe plus grand-chose", tranche un universitaire.
"Nous avons assisté en trois ans à un basculement, estime William Martinet, président de l’Unef. Si, au début, il y a eu des actions fortes pour la réussite étudiante, avec 200 millions d’euros pour les bourses et des mesures de la loi ESR pour les étudiants, cela s’est ensuite arrêté. Il n’y a plus aucun signe de volontarisme politique pour que les établissements fassent de la réussite étudiante une priorité, tandis que le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est plus du tout préservé. Nous allons droit vers une dégradation des conditions d’études."
Depuis que Geneviève Fioraso est devenue secrétaire d’État, il ne se passe plus grand-chose.
"Y a-t-il encore un pilote dans l'avion ?"
Le sort réservé au budget 2015 exacerbe les tensions, au moment où les universités se sentent de plus en plus touchées par l'austérité. Les péripéties parlementaires, avec la coupe de 136 millions d'euros sur l'enseignement supérieur et la recherche, dont 70 millions sur l'université rétablis dans un second temps en grande pompe par François Hollande, n'ont pas manqué de surprendre.
"Nous sommes en mars : le Cneser (Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) et les universités n'ont toujours pas connaissance de leurs dotations 2015 !, dénonce Marc Neveu, cosecrétaire général du Snesup. C'est du jamais-vu, cette répartition est communiquée logiquement fin décembre. On se pose vraiment la question de savoir s'il y a encore un pilote dans l'avion."
À ces mauvais signaux envoyés à la communauté s'ajoutent d'autres motifs d'inquiétude : la baisse des montants des CPER (contrats de projets État-Région) et surtout la ponction de 100 millions d’euros qui plane sur les universités, en fonction de l'importance de leurs fonds de roulement.
Le successeur potentiel de Geneviève Fioraso va ainsi arriver dans un climat difficile, au moment même où les syndicats des personnels et des étudiants appellent à manifester contre le manque de moyens.
Ce qu'ils en pensent
Anne Fraïsse : "La politique menée n’est pas la bonne"
Elle fait partie des voix les plus critiques chez les présidents d’université. "J’ai une vision très négative de l’action de Geneviève Fioraso à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, résume Anne Fraïsse, à la tête de Montpellier 3. Je suis dure mais je pense que la politique qu’elle a menée n’est pas la bonne. Certes l’héritage était très lourd, avec une situation difficile dans les universités, mais elle l’a mal gérée, en poursuivant dans le sens de ses prédécesseurs et de la loi LRU, alors que ce n’était pas la promesse de campagne de François Hollande. Elle a notamment continué à renforcer le financement sur projet au détriment des crédits récurrents. Si la seule chose à mettre à son actif, c’est d’avoir réussi à ne pas provoquer de grèves étudiantes, c’est très insuffisant !"
La présidente montpelliéraine note tout de même un infléchissement ces derniers mois. "Ce n’est qu’un début mais le ministère commence à prendre conscience des problèmes des universités, et essaie d’y remédier. Avec l’intégration progressive dans les dotations des facs de la compensation de l’exonération des boursiers, ou encore la prise en compte de la progression du GVT [glissement vieillesse-technicité]."
Bruno Sire : "Geneviève Fioraso a bien fait le job"
Président de l'université Toulouse 1 Capitole depuis 2008, Bruno Sire défend l'action de la secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur. "Je trouve que Geneviève Fioraso a bien fait le job. C'était une ministre performante, qui connaissait ses dossiers. Quand elle est arrivée, elle n'était pas connue dans le milieu et on pouvait être sceptique, mais j'ai justement été agréablement supris. Elle était en outre à l'écoute de la communauté, c'est un vrai regret de la voir partir. Elle a réussi à faire évoluer la loi LRU sans casser l'autonomie des universités. Alors qu'il y avait un débat à l'arrivée de la gauche au pouvoir. Cela a permis d'éviter un retour en arrière qui aurait été très dommageable. Elle a également fait confiance aux acteurs de terrain qui ont les compétences pour piloter les établissements."
"Sur la question du budget, je crois que cela dépasse la secrétaire d'État. Elle a défendu autant qu'elle a pu l'enseignement supérieur et la recherche mais le contexte est difficile pour tous les services publics. Le fait d'être un secrétariat d'État dans un grand ministère de l'Éducation nationale a pu rendre la tâche plus difficile. Quoi qu'il en soit, tout le monde a besoin de plus de moyens et c'est aussi aux universités de trouver des ressources supplémentaires ailleurs."
C'est l'un des débats qui a eu lieu lors de ces trois années de Geneviève Fioraso à l'Enseignement supérieur et à la Recherche. Faut-il mettre en place une sélection à l'entrée de la licence ? Quid de la sélection en master ? La secrétaire d'État a botté en touche sur ce sujet porté par les présidents d'université, rappelant simplement qu'elle était contre toute sélection, bien que celle-ci existe de facto en master 2 tout du moins.
"C'est un sujet difficile auquel personne ne veut s’attaquer", souligne Gilles Rousel, président de l'Upem, qui dénonce l'insécurité juridique dans laquelle le ministère laisse les universités. Pas sûr que le successeur de Geneviève Fioraso n'ose s'emparer d'un dossier si sensible.
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