Des cours de droit diffusés en direct sur Facebook, des réseaux sociaux dédiés aux étudiants, des algorithmes qui régissent l'orientation des bacheliers... En quelques années, le numérique s'est immiscé dans quasiment toutes les discussions sur l'enseignement supérieur.
Qu'il s'agisse de transformer les institutions avec, par exemple, la mise en place de nouveaux outils collaboratifs telles que les plates-formes de cours en ligne ou de proposer de nouvelles expériences pédagogiques aux étudiants, le numérique est devenu l'un des outils de la transformation des établissements. Avec une question, de plus en plus prégnante : comment former et accompagner les personnels à ce changement de culture, et en premier lieu les enseignants ?
"Si une université n'a pas le pouvoir d'exiger une plus grande implication pédagogique de ses professeurs aux dépens de la recherche, elle détient néanmoins la faculté de leur apporter un soutien dans la pratique de leur enseignement, autant sur le plan technique que pédagogique", plaide Albert-Claude Benhamou, professeur de médecine et promoteur des UNT (universités numériques thématiques).
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Un accompagnement des pouvoirs publics
Des initiatives voient le jour, portées par des enseignants passionnés ou encore des équipes de recherche liées au numérique. C'est le cas de Class'Code. Lancé à la rentrée 2016 et porté par l'Inria, le programme de formation initie les enseignants à la pensée informatique afin qu'ils puissent à leur tour former leurs élèves. Soutenu par un Programme d'investissements d'avenir, le projet espère accompagner 300.000 éducateurs en cinq ans.
De façon plus générale, les pouvoirs publics souhaitent accompagner ces changements. La mission confiée fin septembre 2016 par Najat Vallaud-Belkacem à François Taddei en atteste. Le directeur du CRI a quelques mois pour concevoir un "plan stratégique susceptible d'engager un changement d'ère et d'échelle pour la recherche et développement pour l'éducation."
La mission confiée au Conseil national du numérique va dans le même sens. En novembre 2015, Thierry Mandon avait saisi l'institution publique pour réfléchir à l'évolution numérique du système universitaire français. Après plusieurs mois de travaux, pilotés par Sophie Pène, vice-présidente du CNNum et directrice du master EdTech au CRI (Centre de recherches interdisciplinaires), le Conseil a rendu son avis en mai 2016, accompagné d'une première version d'un référentiel d'actions, pensé comme une "aide de départ" à la transformation au cœur des établissements. La version amendée de ce document est présentée au secrétaire d'État ce 14 décembre 2016.
L'enjeu reste la massification de ces démarches. Comment inciter tous les établissements à s'engager sur la voie de la transformation numérique ? Le PIA 3 devrait constituer une première réponse. Doté de 10 milliards d'euros, le Programme d'investissements d'avenir "saison 3" consacrera 750 millions d'euros à l'innovation pédagogique. Plusieurs appels à projets ont d'ores et déjà été lancés. C'est le cas de Dune, pour "Développement d'universités numériques expérimentales", dédié à la transformation des établissements, et de "Disrupt' Campus", visant plus particulièrement les formations à l'entrepreneuriat et à l'innovation numérique.
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Le terrain de jeu des EdTech
À côté des établissements d'enseignement supérieur, une filière française des EdTech émerge sans nouer encore de liens étroits avec la communauté universitaire. Des start-up voient le jour, portées par des acteurs passionnés du numérique et de l'éducation. "La force de l'outil numérique est de permettre d'améliorer les apprentissages et d'accompagner les enseignants dans la gestion de l'hétérogénéité de leurs étudiants", argumente Son-Thierry Ly, fondateur de Didask. La plate-forme numérique s'appuie sur les sciences cognitives pour personnaliser ses cours en ligne.
"Le marché français envoie de très bons signaux : une dizaine de start-up se créent chaque année depuis 2005, un chiffre qui ne cesse d'augmenter. Et les établissements sont de plus en plus nombreux à se doter d'équipes dédiées au numérique", constate Victor Wacrenier, fondateur de la société Appscho (dont l'Etudiant est actionnaire minoritaire).
Apprentissage par les pairs avec WAP, pédagogie par projet avec Waza education, plate-forme de cours avec Didask... Les segments couverts par les EdTech sont divers, mais une même question se pose pour toutes les structures : quel marché pour ce secteur ? " La filière est [...] sujette à une focalisation très forte des start-up sur la pédagogie et l'impact des technologies sur les apprentissages ; alors que ces sujets sont des 'points durs' des politiques publiques en matière d'éducation et d'enseignement, constate Nicolas Turcat, responsable e-education de la Caisse des dépôts. Mais d'autres sujets sont à considérer dans l'univers des EdTech : l'orientation, l'intermédiation avec les parents, le parcours parascolaire de l'étudiant... L'ensemble de la chaîne de valeurs doit être analysé pour développer des services là où il n'en existe pas encore."
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les questions d'éthique, à prendre en compte
Reste une question à peine effleurée en France : celle de la gestion des données privées étudiantes. Aux États-Unis, suite à divers abus, plusieurs États ont légiféré en la matière, comme le rappelle le magazine Forbes. "Les fondements éthiques de la confidentialité des données des étudiants se rapportent à des préoccupations éthiques concernant le phénomène du big data en général. (...) À ce jour, 15 États ont adopté un total de 28 lois sur la confidentialité des données qui ciblent les données des étudiants."
"Les données deviennent la clé, avec une problématique cruciale à prendre en compte, celle du respect de la vie privée, rappelle Gérard Giraudon, directeur du centre de recherche de Sophia-Antipolis de l'Inria. Car une fois que vous proposerez de l'apprentissage personnalisé, vous engrangerez des données sur les modes d'apprentissage des utilisateurs. C'est pourquoi les questions d'éthique sont à prendre en compte dans toutes les recherches." Sur ce terrain aussi, start-up EdTech et établissements d'enseignement supérieur devront engager le dialogue.