En cette fin d'année budgétaire, alors que les présidents se sont élevés contre le manque de moyens des universités, où en êtes-vous des négociations avec le ministère ?
L’année a été rude et nous nous réjouissons prudemment de certaines avancées : nous commençons à entrevoir une compensation de l'exonération des droits d'inscription des boursiers, tandis que les négociations sont ouvertes avec le ministère sur le GVT [glissement vieillesse technicité – progression de la masse salariale en raison de l'évolution de carrière des personnels fonctionnaires de l'université], pour lequel nous sommes désormais d'accord quant à la méthode de calcul.
De même, la discussion a débuté sur le préciput de la recherche. Ces trois fronts sont enfin débloqués, c'est une avancée importante, bien que seulement conceptuelle pour l'instant.
Nous espérons que d'ici 2015, le GVT sera inscrit dès la loi de finance, et non pas en fin de gestion, comme aujourd'hui. Car ces sommes accordées en fin d'exercice sont inutilisables pour la masse salariale, sauf à se mettre en déficit, tandis que le GVT se cumule d'une année sur l'autre, sans jamais être pris en compte dans la dotation de base attribuée aux établissements. C'est comme si nous repartions à zéro à chaque fois.
Nous réfutons l'idée que les présidents seraient irresponsables et ne sauraient pas gérer leurs universités
Plusieurs universités sont dans des situations financières très critiques, notamment Versailles-Saint-Quentin, ou Montpellier 3. Lors de ces crises, la ministre a pointé à plusieurs reprises la responsabilité des universités dans ces difficultés financières …
Sans nous exprimer sur des situations individuelles, nous réfutons l'idée que les présidents seraient irresponsables et ne sauraient pas gérer leurs universités.
A l'inverse, nous revendiquons nos responsabilités : en regardant de façon lucide les cinq dernières années, et l'accession des universités à l'autonomie, nous avons su relever le défi. Nous avons prouvé collectivement que notre gestion des établissements est tout à fait honorable.
19 universités pourraient être en déficit en 2013, 5 en double déficit… C'est inquiétant ?
Il faut relativiser car dans beaucoup de cas, les déficits correspondent seulement à un jeu d'écriture comptable : ils ne signifient rien et vont s'annuler dans le temps. En outre, notons que même les entreprises les mieux gérées peuvent rencontrer des déficits momentanés et que la France est chaque année en déficit…
Cela n'empêche pas que nous avons un réel problème de recettes, dû à la non-prise en compte par l'Etat des dépenses qu'il nous impose. En la matière pour l'instant, la tendance n'est pas bonne, bien qu'un redressement semble s'amorcer avec l'ouverture de ces discussions avec le ministère.
Les chiffres avancées [par la ministre sur les faibles effectifs en masters universitaires] sont tout simplement faux
Y a-t-il trop de masters dans les universités, avec de petits effectifs, ce qui participerait aux difficultés financières des établissements ? Geneviève Fioraso dénonce en effet souvent le fait qu'entre 20% et 30% des masters compteraient moins de 15 étudiants.
Il s'agit là d'un faux problème. Le master, c'est la grande réussite de l'université, c'est ce qui fait la différence avec l'ensemble des autres formations d'enseignement supérieur ! La ministre a tort de pointer du doigt négativement nos masters, elle devrait plutôt les soutenir car ils représentent une véritable richesse pour l’université et sont souvent un gage d’attractivité internationale.
Quant aux chiffres avancés, ils sont tout simplement faux. Enfin, cela n'a aucun rapport avec les difficultés financières des universités, depuis leur passage aux RCE (responsabilités et compétences élargies).
Jean-Loup Salzmann à droite, entouré des deux vice-présidents de la CPU, Khaled Bouabdallah à gauche (université de Saint-Etienne) et Gérard Blanchard (université de La Rochelle).
Les universités ont-elles profité des RCE pour embaucher un trop grand nombre de personnels, ce qui expliquerait également les déficits qui se multiplient, comme le sous-entend le ministère ?
Cette affirmation n'est pas raisonnable : dans ce cas, nous serions tous en grand déficit depuis longtemps. S'il est vrai qu'à l'époque du passage à l'autonomie, le ministère nous encourageait à recruter des personnels spécialistes, ou encore à augmenter les primes des collègues afin que ces derniers remarquent les effets bénéfiques de l'autonomie, cela ne veut pas dire que les présidents ont fait preuve de laxisme en matière de régime indemnitaire et de gestion des ressources humaines ! C'est même le contraire, car nous sommes responsables.
La politique d'accompagnement du ministère n'est pas de nature à changer la situation. Nous avons simplement besoin que l'Etat assume ce qu'il doit aux universités
Geneviève Fioraso défend une politique d'accompagnement des universités, avec des audits notamment, plutôt que la mise sous tutelle après deux déficits de ses prédécesseurs. C'est une avancée ?
Ce n'est pas de nature à changer la situation, bien que cela puisse avoir son utilité. Nous avons simplement besoin que l'Etat assume ce qu'il doit aux universités, sur le principe du décideur-payeur.
Et que pensez-vous de l'idée d'envoyer les présidents d'université sur les bancs de l'ENA, comme l'a annoncé la ministre fin novembre 2013 ?
Nous ne pouvons défendre la place de l'université, au cœur de la formation professionnelle tout au long de la vie, sans être bien sûr favorable à ce que nos collègues des équipes gouvernantes aient accès à la formation professionnelle. Nous en sommes tellement convaincus que nous le faisons déjà ! A la CPU, à l'Amue ou encore à l'Esen.
Si le ministère souhaite que nous en fassions encore plus, nous sommes partants, mais dans ces lieux de formation, qui sont les bons vecteurs. Je pense que le mot "ENA" était seulement symbolique, pour signifier une formation à la bonne gestion publique.
Etudiants en licence 1 d'histoire - Université Paris 4 Sorbonne - Centre de Clignancourt - sept2013 © E.Vaillant et C.Stromboni
La sélection via le tirage au sort risque de s'accroitre, avec le développement des limitations des capacités d'accueil annoncées par plusieurs universités en difficulté. Craignez-vous que des bacheliers n'aient pas de places dans les filières demandées à la rentrée 2014 ?
Il est normal que dans certaines filières, on n'accepte pas tous ceux qui souhaitent la rejoindre, surtout quand il n'y a pas les débouchés professionnels qui suivent. C'est même sain.
Autre sujet très sensible dans la communauté universitaire, le décret sur le statut des enseignant-chercheurs est en cours de rédaction. Faudrait-il revenir sur la modulation des services, comme le demandent certains syndicats.
Deux de nos demandes ont été entendues. Tout d'abord la mise en place d'une voie spéciale d'accès au corps des professeurs pour les maîtres de conférences qui se sont fortement investis dans la vie de l'établissement, en dirigeant une composante ou en tant que vice-président par exemple. Cela constitue en effet une forme de sacrifice dans leur carrière de chercheur, les empêchant souvent d'être qualifiés par le CNU (Conseil national des universités). Cela concernerait un très petit nombre d'enseignants.
Nous souhaitions également que les disciplines juridiques ainsi que l'économie et la gestion rejoignent le droit commun, c'est-à-dire que l'on devienne enseignant-chercheur après avoir été qualifié par le CNU puis recruté par un comité de sélection. L'exception serait donc l'agrégation, au choix des établissements. Cette possibilité est actée dans le décret.
Enfin, concernant la modulation des services, elle reste conditionnée à l'accord de l'enseignant-chercheur, comme auparavant. Rien n'a changé donc.
Cette spécialisation progressive en licence ne doit pas être une normalisation forcenée des cursus
Le nouveau cadre national des formations, qui institue la spécialisation progressive en licence, sera examiné au Cneser (conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche) dans les semaines qui viennent. Qu'en pensez-vous ?
Nous sommes favorables à la spécialisation progressive en licence. Le nouveau cadre national nous paraissait pertinent… jusqu'au moment où le ministère a introduit, sans que l'on comprenne bien pourquoi, un socle minimum obligatoire de 45 ECTS. Auquel nous sommes totalement opposés !
Cette spécialisation ne doit pas être une normalisation forcenée des cursus. Une précision chiffrée n'a pas sa place dans un cadre national des formations. Indépendamment du fond, la méthode suivie pour "la concertation" augure mal de l’avenir de ce texte et de son application dans les universités.
D'autant plus si l'on réfléchit au plan juridique : le futur HCERES (Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, qui va remplacer l'AERES en 2014) va devoir vérifier que les universités respectent ce cadre afin de délivrer une accréditation aux établissements. S'il doit examiner le nombre de crédits dans chaque maquette, nous revenons à l'habilitation, ce qui est contraire au "choc de simplification" défendu par le gouvernement.
- La biographie de Jean-Loup Salzmann, président de la CPU
- La biographie de Gérard Blanchard, vice-président de la CPU
- La biographie de Khaled Bouabdallah, vice président de la CPU
- Le billet de Didier Delignières : Quelques réflexions sur la limitation des capacités d’accueil à l’université
- Le billet de Pierre Dubois : Austérité budgétaire : une fatalité ?
- Le billet de Jean-Luc Vayssière : « J’ose dire pourtant que je n’ai mérité ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »